Socialiser une finalité de l'école ? Mais alors l'individualité ?



On met souvent en avant la fonction de socialisation de l'école. Mais la frontière est parfois peu épaisse entre socialisation et grégarisation.


Socialisation, grégarisation et coopération


L'école est souvent vu comme un lieu de socialisation des élèves. Pourtant les tenants des pédagogies coopératives se plaignent que le fonctionnement de l'institution scolaire favorise l'individualisme et la concurrence entre les élèves par la compétition scolaire.


Mais cet individualisme est un individualisme sans individualité. On met les élèves à longueur de journée dans des salles côté à côté. On a donc une agrégation d'individus. Cela ne suffit pas à faire de la classe un collectif de travail.


Dans le sillage de la dynamique de groupe et du socio-constructivisme, les pédagogies coopératives insistent au contraire sur le travail de groupe restreint (4 à 8 personnes). Les travaux en psychosociologie ont pu montrer la supériorité du groupe, par rapport à l'individu seul, pour résoudre des problèmes. Ce sont les phénomènes d'intelligence collective mise en œuvre par exemple dans le cadre du crowdsourcing (production participative).


Développer l'affirmation de l'individualité


Néanmoins, à côté de cette dynamique de travail en groupe, il est possible de se demander quelle place est laissée à l'expression de l'individualité et comment il est possible de la développer.

 

En effet, la psychosociologie, par exemple avec l'expérience de Asch (1), a montré l'importance du conformisme de groupe. Plusieurs séquences historiques ont pu montrer les effets du conformisme de groupe. C'est le cas de l'oeuvre de Christopher Browning, Des hommes ordinaires, sur la « shoah par balle ».


L'individualité n'est pas l'individualisme. Mais elle représente la capacité à s'affirmer. Cette affirmation de soi n'est pas nécessairement contraire au groupe.


C'est ce que montre en particulier les travaux sur la créativité et le recours au brainstorming. La crainte qu'éprouve l'individu a être jugé par le groupe constitue un frein à la créativité. C'est pourquoi l'une des règles du brainstorming, c'est que tous les participants peuvent énoncer leurs idées, même les plus farfelues, sans être critiqué. Une autre règle, c'est qu'en revanche, il est bienvenue de proposer des améliorations de l'idée qui a été proposée.


Les pratiques de nombre d'enseignants ne favorisent pas la construction de l'individualité des élèves. Il ne leur est pas demandé suffisamment des travaux qui sollicitent les compétences de haut niveau intellectuel qui permettent l'élaboration de l'individualité.


Pour cela, il faut donner l'occasion à l'élève d'exprimer son avis personnel et d'exercer son esprit critique sur les contenus qui leur sont proposés. On peut leur demander non pas seulement d'analyser un texte, mais de donner leur avis sur ce texte.


Il faut également que les travaux scolaires donnent aux élèves l'occasion d'exercer leur créativité et pas seulement en arts plastiques ou par des textes d'imagination. De ce fait, l'usage de la carte heuristique (inventée par Tony Buzan) (2) est un instrument intéressant lorsqu'il s'agit de faire preuve de créativité dans la réappropriation du cours ou la recherche d'idées.



(1) L'expérience de Asch : https://www.youtube.com/watch?v=7AyM2PH3_Qk


(2) La carte heuristique : http://www.cndp.fr/crdp-besancon/?id=cartes-heuristiques



Annexe: Affirmation de l'individualité, créativité et sociabilité


Une des principales thèses que l'on trouve dans l'oeuvre de Guyau c'est que la plus grande affirmation de soi n'est pas incompatible avec la sociabilité. De fait, si l'artiste créé et s'affirme dans sa création, c'est que l'art est une réalité qui a une finalité sociale:


Quel est donc le sentiment dominateur et animateur du génie ? Selon nous, le génie artistique et poétique est une forme extraordinairement intense de la sympathie et de la socia­bilité, qui ne peut se satisfaire qu'en créant un monde nou­veau, et un monde d'êtres vivants. Le génie est une puissance d'aimer qui, comme tout amour véritable, tend énergi­quement à la fécondité et à la création de la vie. Le génie doit s'éprendre de tout et de tous pour tout comprendre . Même dans la science, si on trouve la vérité « en y pensant toujours », on n'y pense toujours que parce qu'on l'aime. « Mon succès comme homme de science, dit Darwin, à quelque degré qu'il se soit élevé, a été déterminé, autant que je puis en juger, par des qualités et conditions mentales complexes et diverses. Parmi celles-ci, les plus impor­tantes ont été : l'amour de la science, une patience sans limites pour réfléchir sur un sujet quelcon­que, l'ingéniosité à réunir les faits et à les observer, une moyenne d'invention aussi bien que de sens commun. Avec les capacités modérées que je pos­sède, il est vraiment surprenant, que j'aie pu influencer à un degré considérable l'opinion des savants sur quelques points importants. » A ces diverses qualités, il faut en ajouter une dont Darwin ne parle pas et dont ses biographes font men­tion : la faculté de l'enthousiasme, qui lui faisait aimer tout ce qu'il observait, aimer la plante, aimer l'insecte, depuis la forme de ses pattes jusqu'à celles de ses ailes, grandir ainsi le menu détail ou l'être infime par une admiration toujours prête à se répandre. L' « amour de la science» dont il se pique se résolvait ainsi dans un goût passionné pour les objets de la science, dans l'amour des êtres vivants, dans la sym­pathie universelle.


Guyau, L'art au point de vue sociologique







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Animé par Irène Pereira

 

 

 

Professeur des Universités.

Philosophie et éthique

Sciences de l'éducation.