L'ETAT

 

Sujet : Le système scolaire doit-il dépendre de l'Etat ?

 

Eléments de problématisation :

 

L'existence d'un système d'instruction public constitue dans la tradition républicaine française une garantie d'accès pour chaque enfant, indépendamment de son origine socio-économique, à une formation qui est au moins équivalente au nombre d'années prévues par l'instruction obligatoire.

 

Ce système d'instruction public dans la tradition républicaine est valorisé par opposition à deux autres modèles :

 

a) l'instruction publique ou privée confessionnelle qui est liée à une religion. L'instruction publique républicaine se présente comme laïque et indépendante de toute religion constituée.

 

b) le système privé reposant sur les règles de l'économie de marché. Ce système implique l'accès des élèves à l'instruction en fonction de la capacité de leur famille à financer les études de leurs enfants.

 

Néanmoins, cette présentation du champ de la scolarisation est incomplet. En effet, il existe des projets d'écoles et d'éducation qui se veulent alternatifs à ces modèles :

 

a) Il peut s'agir d'écoles mettant en place des méthodes pédagogiques alternatives et s'appuyant sur un système de fondation financé par un mécène. Les écoles fondées par Léon Tolstoï ou Sébastien Faure par exemple relèvent de ce modèle.

 

b) L'éducation ouvrière : le mouvement ouvrier n'a pas été initialement favorable à l'école publique dépendant de l'Etat. Dans un premier moment, l'objectif, mais qui a échoué, a été de tenter de constituer des institutions visant à instaurer une éducation alternative à l'Etat. Ces institutions ont pu tenter de se développer au sein des Bourses du travail ou en constituant des Universités populaires. Cette éducation alternative entend s'adresser à des ouvriers dans un contexte où le système scolaire ne permet à la plupart des enfants issus des classes populaires que d’accéder à une instruction élémentaire. Il s'agit d'offrir aux adultes la possibilité de compléter leur formation générale et professionnelle.

 

Durant l'Entre-deux-guerres, la philosophe Simone Weil fut l'une des intellectuelles qui s'engagea dans l'impulsion d'un tel mouvement éducatif en appelant à la « création d'une université ouvrière » (1935).

 

Textes :

 

Texte 1 :

Offrir à tous les individus de l'espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d'assurer leur bien-être, de connaître et d'exercer leurs droits, d'entendre et de remplir leurs devoirs ; Assurer à chacun d'eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d'être appelé, de développer toute l'étendue des talents qu'il a reçus de la nature, et par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi . Tel doit être le premier but d'une instruction nationale ; et, sous ce point de vue, elle est pour la puissance publique un devoir de justice. Diriger l'enseignement de manière que la perfection des arts augmente les jouissances de la généralité des citoyens et l'aisance de ceux qui les cultivent ; qu'un plus grand nombre d'hommes deviennent capables de bien remplir les fonctions nécessaires à la société, et que les progrès toujours croissants des lumières ouvrent une source inépuisable de secours dans nos besoins, de remèdes dans nos maux, de moyens de bonheur individuel et de prospérité commune ; cultiver enfin, dans chaque génération, les facultés physiques, intellectuelles et morales, et, par là, contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l'espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée : tel doit être l'objet de l'instruction ; et c'est pour la puissance publique un devoir imposé par l'intérêt commun de la société, par celui de l'humanité entière.

Condorcet, Rapport et projet de décret relatifs à l'organisation générale de l'instruction publique (1792)

 

Remarques : Le projet d'instruction publique, et la présentation qu'en effectue en 1792 Condorcet, est resté dans l'imaginaire républicain comme une page symbolique du lien intime qui associe le projet de républicain, issu de la Révolution française, l'instruction publique, et l'idéal des Lumières d'un triomphe de la raison.

En effet, Condorcet, philosophe des Lumières, auteur du Tableau historique des progrès de l'esprit humain, fait de l'existence d'un système d'instruction publique la condition possibilité d'un progrès de la raison et de l'espèce humaine. Si le « bonheur est une idée neuve en Europe » (Saint Just), Condorcet fait de l'instruction publique, la condition de possibilité de la réalisation du bonheur collectif.

 

 

Texte 2 :

Les instituteurs, dont les groupements participaient depuis longtemps à la vie syndicale, qui, des premiers, avaient proclamé la nécessité de libérer l’enseignement de la tutelle étatiste, de le réorganiser sur des bases corporatives, avec entière autonomie, furent parmi les plus chauds partisans de la révolution. […]

L’ancienne classification en enseignement primaire, secondaire, supérieur, qui parquait les fils du peuple dans la « laïque » et réservait les lycées et les collèges pour les fils de la bourgeoisie n’était plus admissible. Le système des bourses qui, dans la société capitaliste, tempérait l’arbitraire de cette classification, rendait un hypocrite hommage à l’égalité, et permettait à quelques fils du peuple de sauter dans l’école bourgeoise, ne faisait que souligner mieux l’odieux de cette démarcation. Cet enseignement cloisonné, conforme à une société d’exploitation, puisqu’il distribuait le savoir à des doses différentes, suivant que les enfants étaient destinés à commander ou à obéir, à faire travailler les autres ou à trimer eux-mêmes, n’avait plus raison d’exister dans un milieu de liberté et d’égalité.

Emile Pataud et Emile Pouget, Comment nous ferons la révolution ? (1909)

 

Remarques : Comment nous ferons la révolution ? est un ouvrage rédigé par deux militants et leaders du mouvement syndicaliste révolutionnaire (tendance qui domine la CGT en France entre 1904 et 1910). La position présentée par les deux auteurs relativement à l'école de la République est largement rependu au sein du mouvement ouvrier depuis le XIXe siècle. Tout d'abord, l'école de la République a substitué à la religion de l'Eglise catholique, une nouvelle religion laïque républicaine. Les cours de morale laïque et leur catéchisme républicain ne font que prendre la place de celui de l'Eglise dans l'embrigadement des consciences. En outre, l'école de la République n'a pas été instituée dans une visée égalisatrice, mais elle ne fait que maintenir les inégalités sociales présentes dans la société capitaliste.

Ainsi le mouvement ouvrier, s'il le peut, devrait mettre en place ses propres institutions éducatives. C'est ce que tentent les militants syndicalistes révolutionnaires, au sein des bourses du travail, sous l'impulsion de Fernand Pelloutier. Il s'agit de mettre en place une éducation ouvrière, à la fois professionnelle et visant à « instruire pour révolter » et à faire acquérir aux ouvriers « la science de leur malheur ».

 

 

Focus :

 

Les lois scolaires de Jules Ferry :

 

http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/

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Animé par Irène Pereira

 

 

 

Professeur des Universités.

Philosophie et éthique

Sciences de l'éducation.